L'immense nuit du monde
Semée d'étoiles
Prendrait-elle jamais sens
Hors de notre regard ?
Et l'immonde de notre nuit
Trouée de cris
Susciterait-il jamais écho
Hors de notre ouïe ?
|||
Viens donc vers ce lieu d'accueil
Viens ici où propice encore
est l'ombre humaine
Frugale la table
Net le lit
Mais trop bref le mot
Pour dire le long délaissement
Trop las le geste
Pour montrer
la plaie du mépris
Sous le pansement souillé
L'oeil qui se veut digne
Dresse l'emblème
De la lancinante
existence terrestre
François CHENG | Qui dira notre nuit | ARFUYEN | 2003
|||
|||
Blessé d'amour, répétez, d'amour blessé, blessé d'amour.
Une rafale. La cendre jetée au fond des yeux des enfants.
Ils sauront. Jusqu'à la nausée, jusqu'à l'horreur. ( Jusqu'à
l'accoutumance ?)
Tout dort. J'erre dans les couloirs de l'ancien hôtel.
Derrière les portes la calme respiration des enfants que
j'ai accompagnés pour ce voyage. Je marche. Au bout
du couloir ton visage songeur (ou rongeur). Une lampe
s'éteint. Un rêve. Je regagne la chambre. Sommeil,
dormir. Extinction des feux. Au milieu de ma nuit.
La porte s'ouvre. Tu t'es trompée de chambre. Pardon.
Le même regard bleu. Gute Nacht, tu sors. Puis trois
jours de fascination. Des regards seulement. Pas un
mot, rien. Enfin, un soir, nous nous trouvons dans un
tango insupportablement allemand, cadencé et ciré
comme une paire de bottes, mais que j'oublie sur tes
lèvres. Ton corps a la douceur de l'exil. Nous émigrons.
Ou nous n'émigrons pas. Nous n'avons pas de passé.
Ni toi, ni moi. Quelques rumeurs pourtant d'un enfer
lointain. La blessure tient à l'ignorance du lointain.
Est-il d'avant, est-il de maintenant, d'après ? Les photos de
famille jaunissent dans ma tête. Visages inconnus dont
j'ai cherché les lambeaux dans les portraits de non-
identité du block 11 à Auschwitz. Tu es belle sans excès.
Nous buvons.
Michaël GLÜCK | La mémoire écorchée | Faï Fioc | 2015 | pages 74-75
|||
Ceux à qui il manque le poème
le ciel du dessous
comment s'y prennent-ils avec ces choses
l'obscur et l'impérissable
et quel usage font-ils
des nuits qui tombent de l'épaule
après l'amour ?
Dans le danger des jours
hommes dispersés effarés
butant au cercle du vacarme
comme un loup dévoré par son ombre
ils nient
ils rongent
ils tranchent
ils ont un coeur inaccessible
leurs yeux ne voient que ce qu'ils croient
||
je dis pierre
pour que vous lisiez le mot pierre
pour que vous entendiez le mot pierre
mais aussi cette chose
en dessous
qui a à voir avec votre enfance
- l'été la rivière -
mais aussi un amour peut-être
débâti par le vent
ou bien ce mur
qui fait le bord vertigineux
du vide
et je dis homme ton orage
serré dans le poing
et si je cherche à genoux
dans le gravier des métaphores
le nom qui nous rend
à la beauté des corps
c'est que nul n'a assez de peau
pour éprouver l'air
que fait le mouvement
du jour
enfin je dis que j'aime
pour que le monde paraisse
dans l'effort qu'accomplit le sang
dans mes veines.
Jean-Pierre SIMEON |Lettre à la femme aimée au sujet de la mort |
NRF Poésie Gallimard, page 119, 140 et 141